Eté 80
de Marguerite Duras

L'Eté 80 de Marguerite Duras

Théâtre Littéraire de La Clarencière

Roger Simons - www.cinemaniacs.be -Septembre 2003.

 

Réouverture du Théâtre Littéraire de la Clarencière dirigé par Fabienne Govaerts avec une œuvre de Marguerite Duras : " L'Eté 80 " interprétée par Armand Richelet, jeune premier au profil romantique, à la fois comédien, musicien (trompette classique, piano, violon, guitare) et compositeur. Il apporte tout son enthousiasme, sa passion, sa chaleur humaine et son talent dans la narration de ce texte de Duras, publié aux Editions de Minuit .

 

… Si mauvaise était la mer, continue la monitrice, que l'Amiral Système coula, que tout périt de l'Amiral Système et les gens et les biens, sauf lui, cette espèce de petit David, et figurez-vous qu'un requin passe par là, qu'il le voit nageant et pleurant et allez voir ce qui se passe dans la tête de ce requin ce jour-là. Il dit à David : allez, monte sur mon dos petit enfant, je vais te mener à une île déserte. Et les voilà partis tous les deux et le requin raconte à David qu'il connaît bien l'endroit parce qu'il fait la police pour le compte des bancs de harengs dans les ports de Long Island et de Nantucket et qu'il en a vu des naufrages, oh qu'il en a vu …

 

-Qu'est-ce qui vous a décidé à monter ce spectacle ?

Armand Richelet : Cela nous dépasse, Marc Gooris et moi-même. C'est le texte qui nous choisis et non le contraire. Ici, cette magie était là. Nous connaissions Eté 80 depuis 1990, et depuis ce moment nous avions le souhait de le monter. C'est le temps qui a fait son office et nous a poussés jusqu'au bout et nous, nous sommes dépassés.

Le spectacle est la reproduction du texte original de Duras mais avec des coupes (question de longueur) établies par Marc Gooris et Armand Richelet .

 

… La jeune monitrice est venue près de l'enfant. Et il a ouvert les yeux. Tu dormais? Il dit qu'il ne sait pas bien. Tu as quel âge ? Il a six ans et demi. La monitrice le regarde avec intensité et elle lui sourit elle aussi : on est obligé de raconter des histoires aux enfants, tu le comprends ? Il fait signe que oui. La monitrice continue à le regarder, ses lèvres tremblent. Je peux te faire un baiser? Il sourit, oui, elle peut. Elle le prend dans ses bras et elle embrasse très fort ses cheveux, respire de toutes ses forces le parfum du corps de l'enfant. Elle a un sanglot, desserre ses bras de l'enfant, attend que l'émotion la quitte, et l'enfant attend avec elle que cesse cette émotion .

 

Armand Richelet : L'Eté 80 est le monde d'aujourd'hui, décrit il y a 20 ans, le monde de tous les jours : sa douleur, son bonheur, son amour. La mort aussi. Cette mort qui fait de la vie quelque chose d'absurde ! Non, moi, je ne crois pas... mais peut être que d'autres ont raison. ....

 

… Gdansk, non, presque personne ne peut voir ce qu'est Gdansk. Tout à coup la vérité éclate : presque personne n'est encore capable de ressentir le bonheur de ce qui se passe à Gdansk. Je suis seule, et dans ce bonheur. Je suis dans une solitude que je reconnais, qu'entre toutes nous reconnaissons, sans recours aucun , irrémédiable, la solitude politique. C'est ce bonheur que je ne peux dire à personne qui m'empêche d'écrire .

 

Armand Richelet : Ce spectacle est une aventure. C'est avec une émotion continue, exprimée avec une poésie omniprésente que Margueritte Duras retranscrit avec à la fois les évènements marquants et son regard sur ceux ci. L'Eté 80 est un texte de caractère, d'humanité non complaisante mais vive et dure. Il est réel. Tout comme l'amour de cette jeune fille sur la plage pour l'enfant qui se tait.

 

… J'essaie de téléphoner à des amis anciens, personne n'est là, il n'y a personne nulle part. Les gens ne savent plus voir le bonheur qu'est Gdansk parce qu'il est de nature révolutionnaire et que la pensée révolutionnaire a quitté les gens. Je téléphone aux Renseignements, je demande le nom exact de la compagnie aérienne polonaise. Un jeune homme répond presque aussitôt : les Lignes Aériennes Polonaises, il me donne l'adresse et le numéro de téléphone. Il me dit : vous n'aurez pas de place dans les avions pour Gdansk, ils ne veulent pas qu'on aille voir.

 

Marc Gooris (metteur en scène) : La scénographie de Sanaz Azari représente l'univers mental de l'écrivain pris entre la réalité de l'actualité et ses propres sensations poétiques. D'une part, le rideau de la scène politique, aussi luisant et transparent que les médias ; d'autre part, le sable, celui de l'imaginaire qui envahit de plus en plus son mental. Entre eux, un vieux praticable rouillé par le temps et la pluie, donnant sur la mer, traçant une allée dans le temps.

 

… Nous approchons de l'équinoxe de septembre, nous approchons de la fin de l'été. La mer est changeante, l'espace d'une nuit elle est mauvaise et puis brusquement au matin la voici de nouveau calme, elle redevient bleue et se remplit à nouveau de voiles blanches et de soleil. Les pétroliers sont de nouveau là, en file indienne devant les falaises blanches d'Antifer .

 

Armand Richelet (narrateur et compositeur de la musique de scène) : J'ai écrit cette musique pour la chanter dans le texte. Avec des mots, des notes et la pluie de cet été-là . Je voulais mettre au service de ce texte tout ce que je pouvais lui donner de moi. Ma voix, mes sentiments et plus encore ceux que je ne peux dire et ne saurai jamais exprimer sinon à travers les reflets de la musique créée.

 

… Dans quatre jours, la dernière colonie de vacances va quitter la ville. La mer est très basse en ce moment, elle est très loin, de la chambre noire je la vois bien, et elle laisse derrière elle des lacs, des îles, des archipels noyés de brume, des pays entiers de sables gorgés d'eau…

 

Un texte pas évident du tout à dire, ni à interpréter. Armand Richelet nous apporte toute sa fraîcheur , son allant, son exaltation, son talent. Il nous émeut et nous plonge dans un climat d'une grande poésie qui rejoint totalement celui de Marguerite Duras.

Sa composition musicale est très expressive. Il la joue au piano pendant qu'une voix (la sienne) diffusée par haut-parleur, continue le récit .

Marc Gooris fait se déplacer l'acteur avec intelligence, le met en situation, imprégnant au récit beaucoup de vie .

En scène : le piano blanc du théâtre, une chaise, un ponton, un transat, du sable…

Des éclairages doux réglés par Geoffrey Dressen se joignent à l'atmosphère régnante .

En fin de récit, une violoniste (Jenna Palmers) entre en scène jouant un adagio écrit toujours par Armand Richelet .

Un beau moment de poésie, que l'on soit ou non adepte de l'oeuvre de Marguerite Duras .

 

(Propos d'Armand Richelet et Marc Gooris - Texte Marguerite Duras Eté 80 .

Prochain spectacle de la Clarencière : " Fracas d'amours fracassées " de Marguerite Yourcenar, un texte dit par Syvie Rigot sous l'œil attentif de Charles Kleinberg .

 

Sans le rêve, il n'y a pas de poésie possible. Et sans poésie, il n'y a pas de vie supportable"(Pasteur Valéry-Fradot)

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