La Clarencière est en deuil, André Clarence s’en est allé sur la pointe des pieds…

Un peu misanthrope, un peu fêtard, un peu cynique, un peu flagorneur mais toujours pudique … Il fallait connaître André Clarence dans l’intimité pour savoir que derrière ses armures battait un cœur sensible et vivait un homme qui avait la larme facile devant un film romantique. Râleur comme un pou mais heureux comme un enfant quand il était allongé dans le gazon admirant un feu d’artifice, André était multi facettes, tout comme l’a été sa carrière !

Né et engagé à la grande époque du TNB, commençant ses armes au Théâtre Royal du Parc et au Vaudeville; c’est très rapidement au TNB qu’il est engagé à l’année faisant partie des scouts-routiers initiés et dirigés de main de maître par Jacques Huisman grand novateur et homme passionné. Avec cette nouvelle troupe de théâtre il va parcourir la Belgique de long en large, allant à la rencontre du futur public du National, celui des campagnes profondes, du plus infime petit village perdu dans le fond de la Belgique mais aussi faire la joie de Gilbert Trigano qui lance alors le fameux " Club Med "  où sont invités les comédiens du National pour distraire les clients.

C’est Jacques Huisman qui d’ailleurs lui offrit de prendre un nom de scène et tout naturellement André choisit le nom de Clarence car il jouait le duc de Clarence dans «  Richard III « de Shakespeare, son premier rôle au TNB.

Amateur de bons vins, d’une bonne bière belge mais aussi de jolies femmes, séducteur mais fidèle, d’apparence superficielle mais profondément attaché à ses proches, à son fils, à mes fils et à ses rares amis, André Clarence était un comédien, vrai et cultivé qui avait du panache, de la conversation, qui savait tout faire et à qui rien ne faisait peur. Grand sportif durant de très nombreuses années, cultivant son corps il pouvait s’atteler à tous les rôles, qu’il joue, danse, chante, fasse des claquettes, combatte à l’escrime ou monte sur des échasses pour les besoins d’un rôle... Lui si pudique n’avait pas hésité à apparaître nu chantant sous un parapluie dans " New-York, New-Yor k"   mis en scène par Bernard De Coster.

Car Clarence était un excellent second rôle, il savait  " servir la soupe " et l’a fait tant et tant de fois pour André Debaar, Jean-Claude Frison, Michel de Warzée ou Jean-Claude Drouot avec ses fidèles comparses, permanents du TNB comme Anne Marev ou Raymond Lescot. C’est Jean-Claude Drouot qui en fin de mandat de directeur du TNB lui a offert son dernier rôle. Devant la détresse de Clarence face à l’heure de la retraite, il lui fit écrire un dernier petit rôle dans  " Le misanthrope "  de Molière avec plusieurs petits personnages. C’est d’ailleurs dans ce spectacle que répétant sur un pratiquable positionné sans lumières et portant un masque d’apiculteur qui le rendait à moitié aveugle, Clarence s’est retrouvé un mètre plus bas, avec pour conséquences un nez rouge pivoine trois fois plus volumineux qu’à l’accoutumée pendant toute la série de représentations.

C’est devant cette vacance qui lui était devenue insupportable que je décidai, alors en couple avec lui, de créer un petit lieu où il aurait enfin l’opportunité d’un rôle principal, chance qui ne lui avait jamais été offerte. Mais le temps de clôturer le magazine, les Prix Bizz’art et de créer La Clarencière, André continua à rêver de remonter sur les planches et, exigeant, n’osa plus jamais affronter le regard d’un public. Ainsi chaque matin à l’heure du petit déjeuner s’ouvrait le même débat, la même interrogation, jouer ou pas ???
Pourtant Claude Rappé lui avait offert un magnifique rôle titre dans sa pièce  " Le grenie r" et rendez-vous était pris pour la jouer au théâtre de la Vie, accompagnée de Yannick Rolland et mise en scène par Herbert Rolland. Régulièrement aussi, sur le gazon d’Oteppe, il rêvait avec Roger Simons d’une comédie qu’ils joueraient ensemble mais la rigueur des répétitions et le manque de liberté lui faisaient peur. Il est vrai que travailler au TNB était un véritable sacerdoce, donner des animations scolaires le matin, jouer en matinée et jouer un autre spectacle en soirée, parcourir la Belgique en car durant des longues semaines en tournée, changeant d’endroit chaque jour. La liberté lui avait énormément manqué même si la vie d’acteur l’avait rendu heureux.
Mais le destin … Il ne remontera jamais sur scène même s’il assista à chacun des spectacles de la Clarencière depuis sa création en 2000 sauf pour tourner un film en 2006 «  La sonate blanche « de Manon Coubia, jeune réalisatrice de l’INSAS, un personnage perdu dans les Ardennes au cœur d’un hiver glacial et neigeux. Son dernier rôle, superbe, émouvant et tout en sobriété qui rend sa dignité à la vieillesse. Car « Tout doucement, le vieillesse s’installe, petit à petit, par délicatesse… ». Un film lent et contemplatif de belle facture qu’il eut grand plaisir à interpréter.

André Clarence, de son vrai nom André leclercq s’en est allé sur la pointe des pieds ce 19 juillet 2013, à quelques jours de ses 88 été, sans bruit, discrètement tout comme il avait vécu. Sûrement aujourd’hui il lève sa flûte de petites bulles, tant affectionnée, avec ses vieux camarades qu’il a accompagnés durant 45 années de bons et loyaux services : André Debaar, Bernard De Coster, Liliane Vincent, Gisèle Oudart, Billy Fassbinder et Jacques Huisman. Certainement, il porte un toast à la continuité du théâtre, qu’il a tant aimé, rejoint ces jours-ci par son ami de toujours, Raymond Lescot.

Souvent nous nous sommes chamaillés à propos de théâtre, André Clarence faisait partie de la génération gâtée du TNB même s’il refusait de l’admettre et que chaque année il devait renégocier son contrat auprès de Jacques Huisman, c’était malgré tout le temps des années dorées du théâtre. Moi je vivais la vie des jeunes compagnies qui doivent tout assumer seules. André était un inconditionnel de Molière et du légendaire
" grommelot"  de Debaar et fan de Dario Fo où il excellait notamment dans " Cette dame est à jeter ", et moi plutôt de Racine, Strindberg, Sartre, Horovitz, Baudelaire. Les discussions se soldaient régulièrement par des portes claquées, comme dans Feydeau ou Labiche.
Avec André la vie était un théâtre permanent. Qu’importent les divergences artistiques, il restait le cœur.

Mais happée par le rythme infernal du théâtre, toujours entre les théâtres de Bruxelles et d’Avignon et très souvent à Dakar en projets artistiques je n’étais pas auprès de lui les derniers temps et je le regrette bien car depuis plus d’un quart de siècle nous partagions tellement de choses. Ma seule consolation est que je sais qu’il me le pardonnerait car il me pardonnait tout et toujours avec un air attendri et un sourire compréhensif.
La Clarencière lui offrira au cours de l’année 2013 la création de "Georges Dandin " de Molière car c’est le souhait qu’il aurait formulé s’il avait encore pu choisir un auteur à produire.

L’année 2013 sera jouée en hommage à André CLARENCE et nous espérons y accueillir ses dernières relations.

A ta santé André, on jour on se retrouvera pour confronter nos divergences sur ce qu’est le théâtre et refaire le monde, encore !

Ton amie de toujours, Fabienne Govaerts et ses enfants Eric et Geoffrey.



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