Théâtre Littéraire de la Clarencière

Rue du Belvédère 20 (Place Flagey)

1050 Bruxelles Tél. : 02/640 46 70

Site : www.laclarenciere.be.tf E. Mail : fabienne.govaerts@skynet.be

BBL : 310-1228398-76

Direction artistique : Fabienne Govaerts

Contact pédagogique : Jean-Jacques Williquet

Dates scolaires : Lundi 19 au vendredi 23 janvier 2004 à 10h00 et 14h00 (avec animation).

Lundi 29 mars au vendredi 2 avril 2004 à 10H00 et 14H00 (avec animation).

L'auteur et son oeuvre

Marguerite Yourcenar

Ou la quête des origines…

La première femme à être élue à l'Académie Française, en 1980, était née Marguerite de Crayencour, le 8 juin 1903 à Bruxelles, d'une mère belge et d'un père français. Avant de mourir « au champ d'honneur des femmes » d'une fièvre puerpérale consécutive à ses couches, sa mère, Fernande de Cartier de Marchienne, recommande que l'on n'empêche pas la petite de se faire religieuse si elle en a envie. En entrant en littérature, Marguerite estime avoir répondu au vœu pieux de sa mère. Michel, son père, qui est plus qu'un père, un pédagogue, un confident, un ami, n'est pas homme à faire entrer sa fille dans les ordres. Cet anticonformiste lui laissera en héritage son goût des vagabondages, illustré par cet adage, qu'elle n'oubliera pas : » On n'est bien qu'ailleurs », et sa grande culture qu'il lui fait partager, avec sa bibliothèque.

En 1919, il finance à compte d'auteur Le jardin des chimères, poème dialogué que sa fille a composé sur la légende d'Icare. Marguerite n'a que 16 ans ; elle n'a jamais mis les pieds à l'école; mais n'en obtiendra pas moins son baccalauréat. Ensemble le père et la fille choisissent pour elle un pseudonyme qui est l'anagramme de leur nom de famille : Yourcenar.

Son premier ouvrage publié par une vraie maison d'édition est Alexis ou le Traité du vain combat, lettre de rupture écrite à sa femme par un homme qui lui préfère les hommes, texte pudique qui affirme, dans la lignée de l'écrivain André Gide, la liberté des préférences sensuelles.

Entre-temps son père est mort, en 1929, et la jeune Marguerite, qui hérite les biens de la famille, va connaître les années les plus intenses de sa vie. Elle voyage à travers l'Europe, aime, écrit. Ces années seront surtout celles d'une passion impossible, celle qu'elle nourrit à l'égard d'un homme qui ne saurait l'aimer vraiment dans la mesure où, comme Alexis, il préfère son propre sexe. Feux (1936) est le produit de cette crise passionnelle. Moins connu du public que les chefs-d'œuvre de la maturité, ce poème en prose mêle la vie et les symboles de l'amour absolu, l'évocation des grands mythes d'Antigone et de Clytemnestre ou même de Marie-Madeleine avec la lamentation personnelle de l'auteur et la douleur de son amour frustré. Elle fera, quand viendra l'âge de la maturité (comme on dit…) des réserves sur la valeur de cet amour de désir habité de possessivité et d'amour de soi. Il semble en tous cas que cette page particulière de sa vie ait beaucoup compté au plan personnel et partant exercé sur sa production littéraire une influence certaine.

C'est à partir de cette époque qu'elle commence à prendre ses distances, à l'image du vieux peintre Wang Fo des Nouvelles Orientales (1938), qui s'évade sur la mer de jade bleu que son pinceau vient de tracer. Ces récits sont inspirés de la littérature et du folklore des Balkans, de sa Grèce bien-aimée et de l'Asie dont elle se rapproche intellectuellement et spirituellement. Elle y trouve cette perception bouddhique du « moi incertain et flottant » qu'elle prêtera plus tard à l'empereur Hadrien. Ce sens de l'incertain et du passage.

Le coup de grâce , écrit entre Capri et Sorrente à l'aube du grand déferlement de la seconde guerre mondiale, lui permet de régler ses comptes et d'exprimer toute la violence qui couve en elle et dans l'époque. En 1939, sa vie bascule à l'image de l'Europe qui s'embrase. Elle n'a plus d'argent, la guerre vient d'être déclarée. Que faire ? Le « carambolage des hasards et des choix » va décider pour elle. Elle a rencontré et aimé en 1937 Grace Frick, Américaine chez qui elle a déjà passé un hiver et qui l'invite à nouveau. Elle s'embarque pour une saison. Elle restera en Amérique le reste de sa vie.

Après une période de quasi stérilité littéraire due à l'adaptation et à la douleur qui accompagne ces « années noires » vécues dans l'exil, Marguerite Yourcenar se décide à vivre en anglais, mais elle continuera à écrire dans ce qui seul reste de son passé, la langue française.

Devenue sous son pseudonyme citoyenne américaine en 1947, elle ne recouvrera sa nationalité française que pour entrer à l'Académie Française. Elle s'installe donc sur les terres de la liberté, dans un compagnonnage avec Grace, ponctué par l'alternance de sa « vie immobile » dans la quasi-solitude de l'île des Monts-Déserts (Maine) et de voyages qu'elle entreprend toujours avec un plaisir consommé.

Elle acquiert un statut d'écrivain reconnu grâce aux Mémoires d'Hadrien , publiées en décembre 1951, qui vont connaître un succès imprévisible en France et dans le monde entier.

Marguerite avait dès l'âge de vingt ans produit et détruit plusieurs ébauches de ce roman ambitieux qui fait revivre à la première personne un empereur romain du II siècle et dont ne subsistait en 1949 qu'un fragment. Elle réécrit en quelques mois les mémoires de ce souverain éclairé qui favorisa les arts et améliora la condition des esclaves.

A travers lui, elle rêve un homme d'Etat idéal, capable de stabiliser la terre. Elle prête à ce grec de culture et d'ambition, qui protège les arbres menacés, ses propres préoccupations écologiques, qui viennent un peu en avance sur son temps. Elle évoque un homme qui construit son bonheur  »comme un chef-d'œuvre » mais que la passion pour le bel Antinoüs et la douleur de le perdre vont ébranler. Elle partage avec lui une sagesse inspirée des doctrines orientales, à moins qu'il ne s'agisse simplement d'une sagesse stoïcienne, qui consiste à se préparer à sa propre mort, à en apercevoir le profil, à y entrer « les yeux ouverts ».

Traduit, louangé et commenté, Mémoires d'Hadrien obtient un succès mondial. L'Oeuvre au noir, publiée dix-sept ans plus tard, pendant les événements de Mai 68, est aussi le fruit d'une longue gestation. Réécrite d'après une première nouvelle publiée en 1934, c'est « en deux mots l'histoire d'un homme intelligent et persécuté ; cela se passe vers 1569 et pourrait s'être passé hier ou se passer demain ». Son héros fictif, Zénon, philosophe médecin et alchimiste du XVI siècle, a plus de réalité pour sa créatrice que bien des êtres de chair; elle le tient par la main, dit-elle, comme un frère, elle est certaine qu'à sa mort ce médecin de la Renaissance se trouvera là à son chevet. Elle s'exprimera plus d'une fois sur les rapports qui s'installent entre les auteurs et les héros qu'ils créent. L'Oeuvre au noir est composée à un moment où devant ce qu'elle appelle « l'état du monde » - on dit ça aussi, non ?- le pessimisme de l'écrivain l'emporte sur l'optimisme idéaliste du temps d'Hadrien. Dans son abondante correspondance, elle évoque, vieillissante et confrontée au cancer de sa compagne, « l'atrocité foncière de l'aventure humaine ».

Ses dernières années seront marquées par la montée de la gloire, la série des honneurs et des prix littéraires qui vont conduire cette souveraine, que dans son entourage on appelle « Madame », à l'Académie Française. Elle continue à écrire, des essais, notamment sur Mishima, des romans, notamment Un homme obscur , personnage qui se passe de la littérature et ignore la gloire, mais qui pense bien, sans l'intermédiaire des mots.

Son projet le plus ambitieux, inspiré lui aussi des rêves d'adolescence, se concrétisera dans les trois volumes du Labyrinthe du monde , mémoires d'un genre nouveau dans lequel l'écrivain explore sa filiation et l'histoire de ses ancêtres et parents. Les deux premiers volumes se referment, comme les deux valves d'une coquille, sur la vision d'une petite Marguerite de quelques mois qui dort sur les genoux de sa nourrice. Dans le troisième tome, elle atteint à peine l'âge de la puberté. Publié à titre posthume, ce dernier volet ne sera pas achevé.

Avant de mourir le 17 décembre 1987 sur son île américaine, elle s'était remise à voyager, à faire le tour de la prison » dans un compagnonnage passionné avec un jeune américain de trente ans qui disparaît bientôt du sida. Elle n'a plus alors la force de continuer longtemps seule, elle qui aimait à dire que l'on ne meurt que de chagrin. Elle avait écrit prophétiquement dans sa jeunesse : « Solitude. Je ne crois pas ce qu'ils croient. Je ne vis pas comme ils vivent. Je n'aime pas comme ils aiment. Je mourrai comme ils meurent ».



Le texte du spectacle

Feux (1936)

Le spectacle proposé par Sylvie Rigot à la Clarencière à la demande de Fabienne Govaerts et sous l'œil attentif et conseiller de Charles Kleinberg est en réalité l'interprétation de deux « chapitres » du recueil Feux paru en 1936, dont nous avons parlé plus haut. Ce recueil propose des textes qui ne sont pas à proprement parler des nouvelles, nous parlons du genre littéraire, s'entend. Il s'agit plutôt de monologues à travers lesquels plusieurs personnages de notre fonds culturel prennent la parole pour nous conter les tourments et les déboires particuliers de leurs amours. Il s'agit de femmes, Phèdre, Antigone, Léna, Clytemnestre, Sappho, issues de notre Antiquité Grecque, ainsi que le sont Achille, Patrocle et Phédon, autres figures mises en scène par Marguerite Yourcenar, qui prennent pour leur part la parole en tant qu'hommes, sans que cela ne change grand-chose au problème posé. Et il y a aussi Marie-Madeleine, à savoir Marie de Magdala, qui croisa jadis, selon la tradition, le chemin du Christ, et que Dieu « sauva du bonheur » en l'attachant à lui.

Chaque monologue est séparé de l'autre par une série de courtes considérations et aphorismes, de qualité inégale, qui rendent compte de l'état d'esprit de l'auteur à l'époque de la composition de ces textes.

Sylvie Rigot a choisi d'interpréter les deux derniers monologues, « Clytemnestre, ou le crime » et « Sappho ou le suicide », dans l'ordre inverse. Le lecteur averti ne peut qu'approuver ce choix. Ces deux monologues apparaissent en fin de recueil, sans doute parce qu'ils peuvent être considérés comme les meilleurs du lot. C'est en tous cas notre avis.

Pour la récitante, le choix parmi les personnages s'est opéré, pense-t-elle, en raison d'affinités personnelles avec ces histoires, avec le caractère des malheureuses héroïnes. L'intensité des deux derniers monologues a certainement guidé Sylvie dans son choix. Deux aventures certes éloignées l'une de l'autre, nous dit-elle, mais avec des traits communs qui touchent encore les femmes et les hommes d'aujourd'hui, dans notre monde occidental aux mœurs évoluées, ou supposées telles. Ce qui serait a fortiori aussi le cas dans d'autres parties du monde, éloignées, ou dans d'autres mondes, qui peuvent être proches de nous géographiquement mais restent lointains idéologiquement, où la condition de la femme reste plus traditionnelle, certains diront archaïque. Marguerite Yourcenar, nous dit encore Sylvie Rigot, a pris le parti d'inscrire ces femmes hors du carcan généralement considéré comme très strict de leur époque pour mieux souligner ce que leur condition a d'universel.

Les affres de l'amour et les errances que celui-ci induit presque toujours et partout, voilà ce que nous partageons tous, depuis les origines, et pour longtemps encore, aussi longtemps qu'il y aura des hommes et des femmes sans doute. A moins que les sociétés futures et leurs savants fous entendent régler autrement la question de la reproduction.

Qu'ont donc en commun Sappho la poétesse qui jadis de désespoir amoureux se jeta du rocher de Leucade, transformée ici par Yourcenar, de façon un tantinet irrévérencieuse, en trapéziste, et la reine Clytemnestre, Atride au destin si sombre ?

Elles ont toutes deux atteint la quarantaine, la vie les a menées à une forme de solitude extrême, nous dit Sylvie. Toutes deux ont aimé « body and soul ». Ont été trahies. Ont l'obsession de cet amour trahi et y répondent toutes deux par un acte destructeur qui est une tentative désespérée de mettre fin à leur souffrance, mais il n'en sera rien.

S'agissant de Clytemnestre, il semble que décidément le crime ne paye pas, ou en tous cas n'arrange rien. Elle doit rendre des comptes à la justice des hommes et à sa conscience.

Quant à Sappho, qui a déjà beaucoup raté, elle rate aussi son suicide. Et ce qui devait être son dernier grand saut conduit la trapéziste au fond du filet. Le tragique tourne ici à un tragicomique cruel, car gageons que si la Sappho attestée dans les sources, se jetant du haut du rocher de Leucade, avait fini dans le filet d'un pêcheur pêchant par là, son destin se fût transmis au fil des siècles sous des oripeaux moins romantiques.

Avant de tromper Agamemnon par dépit, puis de l'assassiner, Clytemnestre fut l'épitomé de l'épouse et maîtresse fusionnelle, voyant en son mari un dieu, acceptant tout de lui, même la mort de leur fille Iphigénie, sacrifiée sous les mauvais conseils d'un bien méchant ministre de culte bien quelconque, pour permettre à Agamemnon de partir en guerre, pour que les vents lui soient favorables et poussent les voiles grecques d'Aulis vers Troie. Ce devait être avant qu'Abraham ne marque la fin des sacrifices humains par le sacrifice du mouton!

Ou alors les Grecs n'en avaient pas entendu parler.

Le crime peut sembler en tous cas une suite logique de l'amour fou. Pour toi je tue, ou j'accepte que l'on tue, et même mon propre enfant -mais avais-je vraiment le choix ?- et je finis par te tuer. L'enchaînement est fatal et les dieux se gaussent de l'être humain pris dans les rets de son destin. Clytemnestre expose sa logique à ses juges et leur dénie, sinon le droit de la juger, à tout le moins celui de la comprendre. La punition est de toute façon immanente, car le crime engendre toujours son lot de fantômes. Et ses songes la hanteront jusqu'à ce qu'elle-même tombe sous le fer de la vengeance.

Sappho, pour sa part, qui semble bien avoir été (voir plus loin nos intéressantes références…) un être de chair et de sang garanti par le registre des naissances, même s'il n'y en avait pas en ces temps-là, au contraire de Clytemnestre, personnage mythique, -mais cela fait-il une différence bien pertinente dans la matière qui nous occupe ici ?- n'a jamais été mère, vu son goût avéré pour son propre sexe. Elle en a eu des amies l'acrobate ! Enfin, c'est Yourcenar qui en fait une acrobate dans son texte, on l'a vu. Aux temps anciens, que Yourcenar mêle allégrement à des notions et à des lieux plus contemporains, ainsi qu'elle le fait d'ailleurs pour tous les autres monologues de Feux, elle était simplement poétesse. Cela ne l'empêche pas de vouloir, vieillissante, se suicider, apparemment pour les beaux yeux d'un jeune homme. Rien n'est moins clair que l'amour ! Se dira-t-on ? En vérité, ce n'est pas pour le jeune Phaon, que Sappho entend se jeter dans l'abîme. C'est pour la belle nymphe Attys (ou Athys), qui naguère l'abandonna pour un homme, et que Sappho retrouve en un éclair fulgurant de lucidité dans les traits et la complexion du jeune homme au moment où tous deux s'apprêtent à passer à l'acte. Sappho est pathétique, submergée par sa solitude, comme tout être humain qui ne voit plus de désir dans le regard de l'être aimé (et pour cause, Attys s'est enfuie depuis longtemps), comme tout être qui cherche à se tromper sur la vraie nature d'une relation (celle qu'elle s'apprête à entamer avec Phaon), qui n'est en fait que la recherche de l'ancien amour, déguisée. Elle ne voit plus soudain, en en prenant conscience, d'issue que dans la mort. Mais la mort ne veut pas d'elle. Pas encore en tous cas. Elle devra attendre avec sa douleur et vieillir, vieillir, vieillir. La Sappho de Yourcenar est privée de son rocher de Leucade.

Scénographie

Sur la scène, où Sylvie Rigot va bientôt incarner les deux personnages, on voit la statue d'Aphrodite, déesse de l'amour, appelée Vénus par les Romains. On sait qu'elle peut être cruelle, le spectacle va nous le rappeler.

C'est la couleur rouge qui domine. Rouge comme le rouge des décors et des loges de cirque où Sappho tient ses engagements d'étoile. Nomade à la fois et ancrée dans sa passion pour Attys, sa nymphe adorée. Rouge, comme le tissu que Clytemnestre fait tendre dans le vestibule au retour de son Agamemnon, rappelant ainsi le jour de ses noces. Rouge comme le sang des Atrides. Comme celui qui fait battre le cœur de tout le monde.

Sylvie Rigot entre en scène et pendant deux fois quarante minutes, les deux personnages prennent successivement et rapidement possession d'elle. Et ce n'est plus l'actrice que nous voyons, mais celles qu'elle incarne. Le décor extérieur s'efface au profit du sombre paysage profondément intériorisé de ces deux souffrances qui se crient et s'expliquent sur scène.

On n'en sort pas tout à fait semblable à ce qu'on était en y entrant. Il vient d'être ajouté quelque chose de précieux à ce que nous croyons savoir de la condition humaine et de l'amour en particulier.

Sappho, la poétesse

Sappho, Sapho, Sapphô, Psappha selon le dialecte de l'île de Lesbos, ou Psapphô selon le dialecte éolien, a vécu au VII siècle avant l'ère chrétienne, c'est.à.dire au premier âge du fer.

Elle naquit vers 630 sur l'île de Lesbos dans la mer Egée. Peuplée par les Eoliens, habitants issus des côtes de l'Asie Mineure, Lesbos est le foyer d'une civilisation remarquée dès le VII siècle avant. L'île est un des centres les plus créatifs de la musique et de la poésie, illustrée par les poètes lyriques Terpandre de Lesbos, Arion et Alcée, contemporains de Sappho.

Première poétesse de l'Occident , Sappho est également un des premiers poètes à composer en dialecte éolien et à exprimer non pas la vie des dieux ou des personnages légendaires comme les chante Homère au VIII siècle, mais la vie amoureuse d'une femme, avec beauté et franchise, sans doute la sienne. Les poèmes épiques, dans lesquels les aventures des héros liées à la volonté des dieux sont glorifiées, laissent la place aux poèmes lyriques, qui décrivent les tourments et les joies de l'individu et les excès de la passion. Sur les rives de l'Asie Mineure est inventée l'élégie pour exprimer les souffrances de l'amour.

Aucun manuscrit ne nous est resté de cette poésie très ancienne. Seuls des références éparses, des citations et des fragments cités quelques siècles après la mort de Sappho par les grammairiens, les métriciens, les historiens et les critiques littéraires de l'Antiquité témoignent de sa vie, de son œuvre et de sa légende.

L'œuvre poétique conservée de Sappho se compose en fait de deux odes et de citations ou fragments dus aux grammairiens et aux critiques littéraires.

Citée intégralement par le rhéteur romain Denys d'Halicarnasse (-54-+8) dans son traité « la composition stylistique », l'Ode I ou Ode à Aphrodite est une prière adressée à la déesse Aphrodite pour que l'être aimé réponde à l'amour de Sappho.

L'Ode II ou de à l'Aimée ou L'égal des Dieux est citée par le pseudo-Longin, l'auteur inconnu du Traité du Sublime traduit plus tard par Boileau. Cette Ode II décrit pour la première fois dans le monde occidental et de manière définitivement ‘sublime' les réactions somatiques du sentiment amoureux. Enfin l'œuvre conservée de Sappho rassemble des fragments d'épithalame.

ODE I.

Toi dont le trône étincelle, ô immortelle Aphrodite, fille de Zeus, ourdisseuse de trames, je t'implore :

Ne laisse pas, ô souveraine, dégoûts ou chagrins affliger mon âme,

Mais viens ici, si jamais autrefois entendant de loin ma voix tu m'as écoutée,

Quand quittant la demeure dorée de ton père tu venais, après avoir attelé ton char,

De beaux oiseaux rapides t'entraînaient autour de la terre sombre, secouant leurs ailes et du haut du ciel

Tirant droit vers l'éther, vite ils étaient là !

Et toi, bienheureuse, éclairant d'un sourire ton immortel visage, tu demandais quelle était cette nouvelle souffrance, pourquoi de nouveau j'avais crié vers toi, quel désir ardent travaillait mon cœur insensé.

« Quelle est donc celle que, de nouveau, tu supplies la persuasive d'amener vers ton amour ? Qui, ma Sappho, t'a fait injure ? Parle ! Si elle te fuit, bientôt elle courra vers toi ; si elle refuse tes présents, elle t'en offrira elle-même; si elle ne t'aime pas, elle t'aimera bientôt, qu'elle le veuille ou non. »

Cette fois encore, viens à moi, délivre-moi de mes âpres soucis, tout ce que désire mon âme, exauce-le, et sois toi-même mon soutien dans le combat !


La Mort de Sappho , par Gustave Moreau, peintre symboliste (1826-1898)

Clytemnestre, la reine

L'une des plus célèbre héroïnes de la tragédie grecque,Clytemnestre, de race royale, était la fille de Tyndare et de Léda et, par sa mère, la sœur des Dioscures et d'Hélène. Elle épousa en premières noces Tantale, puis Agamemnon, le meurtrier même de son mari. A Aulis, Agamemnon fut contraint, sous les conseils de Calchas, de sacrifier sa fille Iphigénie à la déesse Artémis, qui empêchait la flotte grecque de gagner Troie. Agamemnon cacha son sinis-tre projet à Clytemnestre. Mais celle-ci apprit bientôt la nouvelle à Argos; désespérée par la fin tragique de sa fille (en fait Iphigénie avait pu échapper au couteau du sacrificateur) et, dit une autre version, trompée par son mari épris de Chryséis, elle prit Egisthe pour amant et prépara avec lui le complot qui mit fin aux jours d'Agamemnon, de retour dans sa patrie. Electre et Oreste se chargèrent de venger la mort de leur père, sept ans après son meurtre.

ESCHYLE

Le rêve de Clytemnestre

Après avoir invoqué l'ombre de son père Agamemnon, Oreste demande à Electre quel est le songe qui a poussé Clytemnestre à offrir des libations à l'époux qu'elle a tué.

ORESTE : Sans doute, mais il n'est pas du tout hors de propos de demander pourquoi, par quel calcul elle a envoyé des libations, tardive réparation d'un crime irréparable et misérable hommage rendu à un mort privé de sentiment. Je ne devine pas l'intention de ces dons, si inférieurs à la faute. On aura beau verser tous ses biens en libations, pour racheter une goutte de sang, ce sera peine perdue. Voilà mon avis. Mais puisque tu sais ce qu'il en est, rapporte-le moi, je t'en prie.

LE CHŒUR : Je le sais, mon enfant, car j'étais là. C'est parce qu'elle a été poursuivie par des songes et des terreurs nocturnes que cette femme impie a envoyé des libations.

ORESTE : Vous êtes-vous aussi informés de la nature du songe, pour me l'expliquer clairement ?

LE CHŒUR : Il lui sembla, à ce qu'elle dit elle-même, qu'elle avait enfanté un serpent.

ORESTE : Et quelle est la fin de ce rêve ?

LE CHŒUR : Elle le coucha dans des langes, comme un enfant.

ORESTE : Quelle nourriture demandait-il, ce monstre nouveau-né ?

LE CHŒUR : D'elle-même, dans son rêve, elle lui présenta son sein.

ORESTE : Comment le sein n'était-il pas blessé par l'horrible bête ?

LE CHŒUR : Elle tira un caillot de sang en suçant le lait.

ORESTE : Ce songe pourrait bien n'être pas un vain songe.

LE CHŒUR : Réveillée par la peur, elle se mit à crier. Alors, mille flambeaux, éteints par les ténèbres, s'allument dans sa maison pour éclairer la reine. Puis elle envoie ces libations funèbres, espérant y trouver un remède à ses maux.

ORESTE : Et bien ! Je prie cette terre et le tombeau de mon père qu'ils me fassent accomplir ce songe. Voici comment je l'explique pour l'ajuster à la réalité. Si le serpent, sorti du même sein que moi, a été emmailloté comme un enfant, s'est jeté bouche grand ouverte sur la ma-melle qui m'a nourri et a mêlé un caillot de sang au doux lait de ma mère, tandis qu'elle gé-missait épouvantée de ce qu'il arrivait, il faut, comme elle a nourri ce monstre effrayant, qu' elle meure de mort violente et que moi, me transformant en serpent, je la tue, comme ce rêve le dit.

LE CHŒUR : Je donne mon suffrage à ta manière d'interpréter ce songe. Puisse-t-il en arriver ainsi ! - Les Choéphores


Meurtre d'Agamemnon, par Guérin (Musée du Louvre).

Les Atrides.

En grec Atréides. On désigne sous le nom d'Atrides les descendants d'Atrée, fils de Pélops, roi de Mycènes, dont la mythologie grecque nous raconte le destin maudit et les crimes qui désolèrent leur famille.

Fondateur de la dynastie des Atrides ou Pélopides, qui succéda aux Perséides, descendants de Persée, Pélops fut tué par son père Tantale, et servi à manger aux dieux … dans un festin que Tantale donna dans son palais ! Ramené à la vie par Zeus (ouf !) il devint roi de l'Elide. Deux jumeaux naquirent de son mariage avec une belle appelée Hippodamie : Atrée et Thyeste. Maudits par leur père et bannis pour avoir tué, sous l'instigation de leur mère, leur demi-frère Chrysippos, ils se réfugièrent à Mycènes dont Atrée devint le roi. Il vouait à son frère, qui avait essayé de lui ravir le trône, une haine implacable. Il tua donc les trois fils de Thyeste et les lui servit à manger au cours d'un repas. Bon sang ne saurait mentir !

Après avoir ordonné à son fils Egisthe d'assassiner Atrée, Thyeste vint régner à Mycènes. Mais Agamemnon, fils d'Atrée, s'empara du trône aux dépens d'Egisthe, épisode qui est le point de départ des aventures et du drame que nous content l'Iliade et les poètes tragiques .

Ayant séduit Clytemnestre, la femme d'Agamemnon parti à la guerre de Troie, Egisthe fait assassiner celui-ci à son retour. Sept ans plus tard, le fils d'Agamemnon, Oreste , revient d'exil et, sous les conseils d'Apollon, tue sa mère Clytemnestre ainsi que son amant Egisthe .

Les Erinnyes, divinités primitives nées du sang dont OURANOS mutilé aspergea la terre, et dont le rôle est de punir tout crime humain, poursuivent Oreste. Ce dernier obtient cependant son acquittement par l'Aréopage d'Athènes. Ce serait Athéna elle-même qui, insistant sur le caractère juste de la vengeance, aurait influencé la décision du tribunal. Sœurs d'Oreste, Iphigénie et Electre connaîtront également un destin douloureux. Iphigénie sera sacrifiée par son père Agamemnon, ainsi qu'on l'a vu, avant de devenir prêtresse d'Artémis, qui la sauve.

Electre venge son père avec l'aide de son frère Oreste et est condamnée à mort, mais sauvée par Apollon.

Tout l'intérêt du mythe des Atrides réside dans sa fonction de miroir, réfléchissant les différentes étapes de l'évolution de la sensibilité culturelle grecque, depuis les temps les plus reculés jusqu'à l'Athènes du V siècle. La personnalité d'Atrée reste l'expression des valeurs les plus anciennes : petit-fils de Zeus, il est le symbole d'une royauté plus soucieuse de se conformer à la volonté des dieux que de répondre aux désirs des hommes. Il règne sur un monde non civilisé enclin au meurtre, à l'adultère, à la négation de toute morale…

Homère, dans l'Iliade , raconte l'histoire du plus illustre des Atrides, Agamemnon, qui représente une nouvelle manière d'interpréter le monde. Avec le concours de son genos, sa large famille (gens en latin) détentrice de ses propres lois et de sa propre morale, et au travers de la guerre de Troie, il participe activement à l'unification d'un monde grec achéen jusque là dispersé et isolé, prélude à la création de la cité grecque qui apparaîtra quelques siècles plus tard. Enfin, Euripide (Oreste) et Eschyle (l'Orestie) donneront à cette légende une dimension nouvelle à travers le personnage d'Oreste : acquitté par l'Aréopage, tribunal composé d'humains, qui déboute le verdict des dieux, il aide à installer la notion de justice humaine.

S'il n'est pas maître de son destin, Oreste cherche cependant à le transformer par le courage et la volonté de vivre qui imprègnent ses actes. Il est la personnification de l'idéal de noblesse du citoyen. Le thème essentiel du dépassement du sacré par l'homme sera par la suite maintes fois repris et enrichi. Le mythe d'Oreste se retrouve dans la littérature existentialiste,dans Les Mouches de Jean-Paul Sartre.

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